La guerre commerciale de l’Amérique contre la Chine est en pleine une intensification en 2019. Dernières batailles en date: le 10 mai, hausse de 25% des droits de douane américains sur 200 milliards de dollars d’importations chinoises; contre-attaque le 1er juin, hausse des droits de douane chinois sur 60 milliards de dollars d’importations américaines. Pour le politologue américain Graham Allison, le piège de Thucydide s’est refermé sur le pouvoir dominant États-Unis et sur le pouvoir émergent République Populaire de Chine, engagés tous deux dans un conflit à perte, à l’image de Sparte et d’Athènes. La thèse mérite le détour, même si comparaison n’est pas toujours raison.
- Il y a d’abord dans cette thèse un occidentalocentrisme. Les Chinois pourraient fort bien lui opposer un autre paradigme, puisé par exemple chez leur stratège Sun Tzu, quasi contemporain de Thucydide.
- Il y a aussi un chiasme qui permute les rôles initiaux. L’Amérique, empire challengé, serait dans le rôle de Sparte, pouvoir dominant, terrestre et autocratique, et la Chine, empire challengeur, serait dans le rôle d’Athènes, pouvoir émergent, maritime et démocratique. Au contraire d’Allison, d’autres politologues américains voient les États-Unis en démocratie «athénienne» et la Chine en autocratie «spartiate».
- Il y a enfin la suite de l’histoire. Après qu’Athènes et Sparte se soient neutralisées par défaite ex æquo, le vide du pouvoir profita à un troisième larron, la phalange macédonienne. Si le moderne piège de Thucydide se vérifiait, qui dans un proche avenir pour endosser le rôle de Philippe II de Macédoine?
En attendant, dans la thèse d’Allison, du XVème au XXIème siècles seize pièges de Thucydide ont abouti à douze conflits armés, et à quatre règlements pacifiques. Ces derniers sont les guerres commerciales Portugal contre Espagne (XVème siècle), Royaume-Uni contre États-Unis (XXème siècle), Royaume-Uni et France contre Allemagne (XXème – XXIème siècles), et la guerre froide États-Unis contre Union soviétique (XXème siècle). Les exemples d’Allison sont discutables, rares y sont les doubles défaites profitant à un troisième compétiteur, nombreuses sont au contraire les victoires retentissantes d’un belligérant, dominant ou émergent, contre son adversaire; quant à la «guerre commerciale Royaume-Uni et France contre Allemagne», elle fait sourire à l’heure du Brexit. Mais le politologue met néanmoins les grandes puissances en garde, le but étant qu’une guerre commerciale ne finisse pas en guerre tout court, avec la suite qu’on peut imaginer.
«διότι δ’ ἔλυσαν, τὰς αἰτίας προύγραψα πρῶτον καὶ τὰς διαφοράς, τοῦ μή τινα ζητῆσαί ποτε ἐξ ὅτου τοσοῦτος πόλεμος τοῖς Ἕλλησι κατέστη. τὴν μὲν γὰρ ἀληθεστάτην πρόφασιν, ἀφανεστάτην δὲ λόγῳ, τοὺς Ἀθηναίους ἡγοῦμαι μεγάλους γιγνομένους καὶ φόβον παρέχοντας τοῖς Λακεδαιμονίοις ἀναγκάσαι ἐς τὸ πολεμεῖν· αἱ δ’ ἐς τὸ φανερὸν λεγόμεναι αἰτίαι αἵ δ’ ἦσαν ἑκατέρων, ἀφ’ ὧν λύσαντες τὰς σπονδὰς ἐς τὸν πόλεμον κατέστησαν.»
Θουκυδίδης, Ἱστορία τοῦ Πελοποννησιακοῦ Πολέμου
«Quant au pourquoi ils rompirent [Note: les traités de paix], j’ai d’abord écrit au préalable les causes et les différends, pour qu’un jour on ne demande pas d’où une pareille guerre est survenue aux Hellènes. Car le motif le plus vrai d’une part, la raison la plus opaque de l’autre, fut je pense que la grande croissance des Athéniens et la peur qu’elle inspira força les Lacédémoniens à faire la guerre; voici en clair quelles furent pour chacun d’eux les dites causes, par lesquelles rompant les traités ils menèrent à la guerre.»
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse
Contrairement à un traité de libre-échange, une guerre commerciale peut s’affranchir de règles juridiques à l’amiable. Mais même ainsi, il y a ici un grand absent: l’Organisation Mondiale du Commerce.
Que fait l’OMC?
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