Le 28 juin 2023 la Commission présentait un cadre législatif pour l’euro numérique. Ce cadre doit encore être débattu au Parlement européen, avant un possible lancement par la Banque Centrale Européenne à l’horizon 2027. Pourquoi l’euro numérique alors que l’argent dématérialisé est déjà monnaie courante? François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, prend la question par l’autre bout: pourquoi la monnaie de la BCE devrait-elle être la seule à rester en papier alors que tout devient numérique? En effet, depuis un demi-siècle, pour l’ensemble de la masse monétaire, le volume dématérialisé des échanges en monnaie scripturale dépasse celui des échanges en monnaie fiduciaire. Qui plus est, depuis la pandémie de Covid-19, le volume matériel des échanges en monnaie scripturale s’approche de celui des échanges en monnaie fiduciaire. Cependant l’euro numérique peut aussi poursuivre d’autres buts.
- Premier but: rejoindre le club des cryptomonnaies d’État, ou Monnaies Numériques de Banques Centrales. Parmi les autres MNBC figure l’e-CNY, ou yuan numérique. Développé depuis 2014 par la Banque populaire de Chine, le yuan numérique a vocation à être utilisé dans le commerce de gros comme dans celui de détail. À terme, il devrait aussi permettre au yuan de détrôner le dollar comme première monnaie mondiale. Dans ce contexte de choc de titans, la BCE se prémunirait en lançant sa propre monnaie numérique.
- Second but: pallier aux remous du principal système de paiement interbancaire mondial, le Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication. En 2015 la Chine a initié le Cross-border Interbank Payment System, son propre système interbancaire. Celui-ci dépend encore de SWIFT pour sa messagerie, mais il pourrait acquérir son autonomie à la faveur de la guerre en Ukraine. La guerre débutée en 2022 a incité au bannissement de la Russie de SWIFT, ce qui pourrait amener d’autres pays à reconsidérer leur dépendance à SWIFT. S’ils devaient être exposés à des sanctions ils pourraient se tourner vers le CIPS. Là encore, l’euro numérique aurait sa carte à jouer.
- Troisième but: concurrencer les cryptomonnaies, sur leur propre terrain. Malgré leurs divers déboires, certaines d’entre elles posent un défi aux monnaies souveraines. Plus encore que le bitcoin, la Libra de Facebook a constitué en 2019 une alternative aux souverainetés monétaires. La Libra était une stablecoin, cryptomonnaie à la valeur relativement stable car indexée sur les principales devises d’État occidentales. Par son succès initial dû à sa facilité d’accès, cette stablecoin a constitué un risque systémique pour ces devises. Face aux critiques gouvernementales, Facebook devenu Meta a revu sa copie, la Libra devenant le Diem. Le projet a été abandonné en 2022, mais il pourrait réapparaître ailleurs sous une autre forme. L’euro numérique, cryptomonnaie centralisée, apparaîtrait alors comme une monnaie numérique digne de confiance par rapport à des cryptomonnaies décentralisées.
Il reste à convaincre les banques privées craignant que l’euro numérique défie leurs services. La monnaie scripturale étant créée par les banques commerciales, celles-ci se verraient concurrencées par une monnaie scripturale, l’euro numérique, créée par une banque centrale, la BCE. Les autorités européennes assurent cependant que le cash ne disparaîtra pas. Elles dénomment d’ailleurs l’euro numérique Cash+. Et dans cette phase préparatoire, elles proposent de plafonner le montant des euros numériques détenus par les particuliers à 3000 euros. Pour autant, en émettant de la monnaie scripturale, la BCE dépasserait son rôle exclusif d’émettrice de monnaie fiduciaire. Il y aurait automatiquement moins de monnaie fiduciaire puisqu’une partie, même limitée, des euros serait scripturale. Une réduction de la monnaie fiduciaire sert à réduire le taux d’inflation. C’est vrai pour une banque centrale n’émettant que de la monnaie fiduciaire. S’il est concrétisé, ce mélange fiduciaire-scriptural par une banque centrale ne risque-t-il pas d’aboutir à une situation emmêlée?
«L’autre Europe, c’est celle de la zone euro.»
Valéry Giscard d’Estaing – Le Journal du Dimanche, 26 mars 2017
En attendant son lancement par la BCE, la Commission est au pilotage de l’euro numérique avec des questions-réponses en cascade, une fiche d’information en PDF, et un paquet législatif en anglais.
MNBC: plus facile à dire qu’à faire
[…]
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